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Explorations ludiques des zones d’inconfort

Voici le compte rendu d’une expérience qui sort du cadre martial, même si au départ le but était d’encourager des stagiaires à tester et explorer leurs réactions et leurs limites émotionnelles hors de l’environnement habituel des cours.

Cela faisait longtemps que je cherchais un moyen de permettre à mes élèves de se confronter à leurs réactions émotionnelles face au conflit, mais en dehors des cours et du «dojo» évidement.
Car même si le Systema dispose de certains exercices sensés nous mettre en face de nos peurs et zones d’inconfort, tels que les mass attacks, frappes, sparrings plus ou moins engagés, cela reste dans le cadre sécurisant du connu, avec des camarades pour la plupart sympathiques et peu violents et sous le regard d’un pédagogue prêt à tout arrêter quand il le faut. J’ai ainsi constaté que même les élèves les plus «craintifs» et les moins à l’aise avec la notion de violence finissaient par jouer le jeu sans heurts majeurs.

J’avais pensé aux jeux de rôle que l’on peut trouver dans certaines écoles de self-défense, (et qui par ailleurs ont beaucoup de vertus), mais le fait que les protagonistes soient encore une fois des gens que l’on connaît et en qui l’on a (presque) toujours confiance biaisait le réalisme de l’effet recherché.

Puis j’ai rencontré une comédienne, Claire Lemercier, qui m’a parlé de son expérience du théâtre de l’invisible.
Très brièvement, on pourrait définir le théâtre de l’invisible ainsi: une «scène» est jouée au milieu de gens qui ne sont pas conscients d’être des spectateurs, dans la rue ou tous lieux privés ou publics. Ceux qui se trouvent là assistent à la scène par hasard et ignorent qu’il s’agit d’un spectacle. Le but étant de provoquer dans la réalité une réaction forte (un conflit, un cas de conscience, de la perplexité…etc), qu’elle soit vécue de façon interne par un témoin muet ou par des réactions plus ou moins engagées.

En quoi pouvais-je le transposer au monde martial ou en tout cas à une étude de l’aspect psychologique de la confrontation ?

En Systema on parle beaucoup de gestion du stress, gestion des émotions, connaissance de soi … Ce sont des idées que je trouve effectivement essentielles, sauf qu’il y a peu de possibilités de vraiment les expérimenter de façon réaliste dans le cadre d’un cours.
Evidemment dans ce contexte de jeu, nous n’étions plus dans de la confrontation type «combat», mais en réalité une émotion forte met en mouvement les mêmes réactions chimiques et psychologiques quelle que soit la situation: adrénaline, cortisol, tremblements, tétanie, agressivité, honte face au regard des autres…etc. Et la perspective de bien s’amuser balayait le reste des arguments qui auraient pu s’opposer à l’ utilisation de cette méthode dans un cadre d’entraînement martial…

…Et cette perspective fut largement satisfaite: voir Jean-Phi transporter un corps inerte sur l’épaule et faire les vitrines sous le regard médusé mais néanmoins silencieux des passants, voir Jérôme répondre inlassablement à un agent de sécurité agressif et complètement désemparé «Je comprends votre point de vue» sans autre explication à la partie collective de chat perché dans les Galerie Lafayette, voir d’autres encore faire des roulades et du crocodile au beau milieu des halles parmi les gens oscillants entre la consternation et la perplexité fut un vrai délice.

Mais au delà de cette délectation il y eut d’une part l’apprentissage vécu grâce à ces mises en situation: les stagiaires eurent à gérer toutes sortes d’émotions provoqués par ces interactions, étant confrontés aux réactions des gens qui allaient du mépris à l’agressivité, en passant par la peur, la méfiance, la compassion, l’amusement… ce en quoi la connaissance de leurs propres réactions en fut bien sûr accrue.

Et d’autres part, différents questionnements furent soulevés par cette expérience (et c’est en cela aussi que cela dépasse le cadre martial), notamment en ce qui concerne les règles et conventions sociales auxquelles nous nous conformons et les rapports que nous entretenons avec elles, à quel point celles-ci peuvent être remises en question, ainsi que la légitimité de leur transgression.

La recherche concrète, surtout lorsqu’elle est si ludique, permet un apport pragmatique puissant à ces problématiques habituellement plus théoriques.

 

Claire Petr